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Noemi Noemi
26 avril 2013

Et une, et deux, et trois Golden Weeks post-tsunami

Voici un témoignage passionnant écrit par Patrick Deblaise, membre de l'AFJ et organisateur des missions de volontariat dans le Tohoku auxquelles j'ai participé en 2011/2012. Son regard sur la sotuation dans le Nord-est ravagé par le tsunami, et sur la portée et les limites des actions de volontariat qui y sont menées est éclairant, et poignant. Je vous invite à lire son point de vue et à méditer "activement" !!

 

Déjà la troisième GOLDEN-WEEK après le grand tremblement de terre du TOHOKU du 11 Mars 2011.

(par Patrick Deblaise)

Comme vous le savez, j’ai été plus de 20 week-ends à Ishinomaki comme volontaire et surtout comme organisateur de groupes de volontaires notamment avec l’AFJ.

Je suis content d’être revenu avant cette 3ème golden-week car avec le recul, je peux faire un point des évolutions, mais aussi un point des très nombreuses aberrations qui évidement me paraissent scandaleuses, mais qui vues par d’autres peuvent paraîtres les meilleurs choix et décisions pour les gens et les régions concernées. Car bien entendu tous les efforts déployés par le pays ont pour but d'aider ces gens touchés par le tsunami.

Donc ne prenez pas toutes mes constatations à la lettre, car elles n’engagent que moi et ma vision très limitée de ce monde.

La première golden-week était très dure; c’était à peine 2 mois après le tsunami. L’eau avait enfin descendu, laissant un paysage de carnage et de désolation sur des centaines de kilomètres.

L’armée avait déjà fait un travail extraordinaire en déblayant toutes les routes principales et en recherchant partout dans cette boue les centaines de corps des disparus.

Donc vous l’imaginez, le travail de ces 5 premiers jours pour nous n’a pas été facile, surtout avec la neige et la glace à enlever avant de pouvoir commencer à travailler.

Le travail principal consistait à aider les habitants à retourner vivre chez eux si leurs maisons étaient encore debout et au même endroit. Car pour la majorité des gens de cette ville ce n’était hélas plus le cas….

Je parle uniquement des dégâts du Tsunami car les tremblements de terre, même de 7 ou 8 degrés, n’ont pas vraiment fait tomber les maisons (juste quelques milliers de tuiles du faîte des toits car elles n’étaient que posées!!!)

Voila vous voyez, je commence déjà à parler des aberrations…

Non, le pire étaient vraiment le manque d’organisation pour les volontaires avec les autorités absentes, mais qui voulaient contrôler tout les volontaires en les obligeant de passer par des ONG/NPO enregistrées et autorisées, avec une assurance obligatoire pour chaque volontaire...

Résultat : pas assez de NPO avec pas assez de responsables, et pas assez de connections avec la population et leurs besoins.

Je ne peux pas dire la façon dont ça aurait pu ou dû mieux se passer… mais l’utilisation optimale des milliers de volontaires qui sont venus et qui ont aidé avec souvent leur argent et/ou leurs temps n’a pas souvent été vue.

Pour cette première golden-week, des centaines de volontaires dormaient dans leur tente sur le terrain surélevé de l’université. Nous, nous avions de la chance car notre NPO/JEN a réussi à nous loger les uns sur les autres, mais moins à l'abris du froid.

Donc comme je viens de le dire, les jours où nous avons fait du travail intéressant, il s'agissait d'aider les habitants à rentrer chez eux en débarrassant les débris qui s’étaient accumulés partout, ou en nettoyant les maisons et même dessous les tatamis ou la vase s’était déposée.

Par contre le travail désespérant était de nettoyer les rizières, les caniveaux ou les plages car dans ces cas, nous ne pouvions pas en voir la priorité ni la fin, alors qu’avec quelques machines adaptées le travail aurait été fait dix fois plus vite en utilisant dix fois moins de monde.

J’ai constaté et dénoncé cette situation depuis le début et pendant des années, et je n’étais pas le seul, mais rien n’a changé, et maintenant nous voyons le nombre de volontaire diminuer dramatiquement alors que la quantité de travail reste la même. Je considère que la moitié du temps des volontaires a été bien utilisé, ce qui est déjà bien mais ce qui est du gâchis pour l’autre moitié. Par ailleurs, il faut que j’avoue que sur la part de temps bien utilisée, une bonne moitié des maisons dont j’ai participé à la rénovation ou au nettoyage ont maintenant disparu par décisions prises après notre intervention. Donc ça réduit à un quart le temps bien utilisé… Mais il faut relativiser : tout ce temps n’a pas été perdu car l’aide, le soutien et le réconfort apporté a ces familles dans les moments dramatiques qu’ils ont traversés leur a permis de se sortir de cette situation et surtout de ne pas se sentir seuls et abandonnés.

Par contre je comprends aussi le désespoir et la fatigue de ces volontaires qui ont été trop souvent inutiles ou mal utilisés alors qu’ils venaient avec tant d’espoir et de cœur. C’est peut-être le plus grand gaspillage que je connaisse car même les petites choses comme le détournement de millions de yen donnés pour le Tohoku et utilisés par le gouvernement pour faire la publicité de SKY-TREE (la nouvelle grande tour de Tokyo), ou les millions de yen donnés a la Croix Rouge et qui leur a servi à construire une tour magnifique à Tokyo,  ou qui reste renfermés dans certaines banques ne sont rien par rapport à la générosité limitée des cœurs de la population.

Une autre chose que je n’arrive pas encore a comprendre est la différence entre ceux qui ont reçu de l’aide des assurances ou du gouvernement et qui ont des voitures neuves des maisons neuves ou en construction, et ceux qui sont encore en bas dans la boue ou dans des maisons temporaires avec peu d’espoir d’en sortir…

A Ishinomaki, où plus de la moitié de la ville a été sous les flots du tsunami, maintenant je peux voir que sur une très grande moitié de cette surface ce sont des terrains vides débarrassés des maisons et débris avec juste les mauvaises herbes qui essaient de récupérer leurs territoirs.

Ensuite, parsemées par-ci par-là, quelques centaines de maisons habitées et souvent restaurées avec l’aide des volontaires et qui représenteraient environs 15% de la surface touchée par le tsunami. Puis peut-être 5% de la surface serait des maisons ou commerces encore en attente de leur sort entre restauration ou destruction.

Maintenant la majorité écrasante du terrain se caractérise par un élan inattendu de constructions nouvelles, de commerces et de maisons qui poussent comme des fleurs en ce printemps 2013.

Je dis "inattendu", car une grande partie de la ville est devenue inondable en raison du tassement de la terre de plus d’un mètre à certains endroits et où le niveau de la mer et des rivières est proche de celui des maisons. Maintenant des pompes fonctionnent constamment pour refouler l’eau qui s’accumule derrière les nouvelles digues de 1,5 mètre de haut.

Mais comment peut-on croire être en sécurité derrière une si petite protection qui a déjà cassé l’année dernière à cause d’un petit typhon ?… Et si on parlait du prochain tsunami ? Ils recommencent en plus à construire les mêmes maisons en bois qui ont été déplacées par le tsunami de 2011 car elles étaient mal accrochées sur leurs fondations en ciment, alors qu’ils devraient renforcer ce point faible sur TOUTES les constructions exposées du pays. Ensuite beaucoup sont morts dans leurs voitures car en fuyant tous ensemble ils ont créé des bouchons infinis ; et surtout qu’ils ont bien sûr respecté les feux rouges et autre règlementations. Les accès aux montagnes ne sont pas faciles et n’ont pas encore été aménagés pour une évacuation massive de la population…

Les Japonais sont marrants : ceux que j’ai questionnés me disent que ce genre de tsunami n’arrive que tous les cent ans et que c’est trop difficile de s'en protéger… Ils sont comme les trois mousquetaires au lieu d’être un peu comme les trois cow-boy du film : Le bon, la brute et le truand….

Oui, tous les cent ans, mais quand on sait qu’un gros tsunami qui arriverait à Hawaii ou en Thaïlande viendrait aussi ici 10 heures après, je trouve très risqué de construire dans des lieux si exposés. Après il paraît qu’il y a des projets de construction de digues monumentales prévues sur 360 km de côte, du Tohoku jusqu’à Ibaraki, voire Chiba. Mais si elles doivent être comme celles de Kesennuma où les habitants se sentaient en sécurité derrière leur digue neuve, laquelle n’a pas résisté à la première vague….  Et il faudra encore combien d’années avant de voir se réaliser un projet aussi monumental ?

Et si nous parlions des 30% des villes japonaises qui sont exposées à d’éventuels tsunami et qui sont toujours sans protection deux ans après cette leçon… Non, mieux vaut ne pas en parler, et faire comme certains 3 singes japonais, au lieu de faire comme les 3 petits cochons.

Pareil pour les centrales nucléaires qui ont été construites volontairement près de la mer, mais sans protection anti tsunami suffisante, ni dans des sites étanches aux fuites radioactives, et qui pourtant ont coûtées des milliards et en coûteront encore autant malgré leurs arrêt actuel. Pour celle de Fukushima, ils ont bien eu les moyens de raser une falaise qui les gênait au lieu d’utiliser ces rochers comme protection.  

Je pense qu’il est préférable de regarder les points positifs, et de voir ce nouveau dynamisme qui relance l’économie de toute la région comme la sortie pour beaucoup de gens de ces dures années d’incertitude sur leur avenir.

Maintenant, il devient difficile de voir les traces des destructions et les humains sont les champions pour oublier les catastrophes et ne pas en tirer les leçons adéquates.

Je comprends mieux pourquoi ils sont des centaines et des centaines a dépenser leur argent dans les machines à sous (pachinko) bien plus qu’avant : certainement en partie pour oublier ou pour ne pas affronter la vérité en face.

Pourtant le Japon était prêt et entraîné à une éventuelle catastrophe de ce genre, qui était déjà arrivée dans le passé. Comment se fait-il qu’il y ait eu 20 000 morts ou disparus ? Et qu'est-ce qui fera la différence la prochaine fois, si ce n’est le travail de mémoire ?

En ce printemps 2013, nous n’étions plus que 13 volontaires dans ce bus de 50 places organisé par la NPO NADIA pour retourner à Ishinomaki, qui se situe au nord de Sendai et qui prend plus de 6 heures de route pour s'y rendre depuis Tokyo. C’est pour cela que nous partons toujours le vendredi soir et arrivons en plus ou moins bon état le samedi matin pour commencer le travail.

Cette fois nous nous sommes divisés en trois groupes :

-         Un pour nettoyer des photos qui avait été récupérées dans les décombres de la ville et que des familles viennent regarder avec l’espoir de retrouver la seule chose qui restera de leurs proches disparus.

-         Un pour déménager et préparer une maison qui sera rénovée.

-         Et le groupe ou j’étais pour fabriquer un parterre de fleurs à l’entrée d’un petit village au nord d'Ishinomaki. C’est la première fois que j’arrive à tamiser la terre pour séparer les débris de pierre, de verre, de bois, de plastique et autres choses diverses qui s’étaient mélangées partout lors du Tsunami, car pendant 2 ans cette boue était trop collante pour faire ce travail correctement, et même maintenant il faut commencer par piocher pour décoller ces éléments avant de les tamiser, puis après avoir trié et jeté la moitié, mettre du bon terreau et quelques belles fleurs. Un travail harrassant, mais qui pour ce petit village de 20 habitants devient une oasis parmi tant de destruction, surtout que les visiteurs vont passer devant pour aller au nouveau bar et salon de thé qui viens d’ouvrir sur les hauteurs. Une chose qui m’a fait très plaisir est que pendant toute cette journée de travail, une vingtaine de clients sont venus pour l’inauguration de ce commerce, ce qui est très bon signe si l’économie peut repartir. Bien sûr j’aurais quand même préféré avoir une machine pour faire le concassage et le tri de cette terre car certaines filles de notre groupe étaient sur les genoux après juste une journée. Je ne sais pas si vous pouvez avoir une idée de la quantité de kilomètres carrés qu’il faudra tamiser comme ce petit parterre que nous avons fait et qui comme je le disais est seulement un oasis, une exception. Bien sûr les paysans ont déjà fait ce travail l’année dernière avec des moyens adaptés.

Le lendemain j’étais dans le groupe des destructeurs, et c’est vraiment la chose que je préfère faire car tout en étant prudent on peut vraiment mettre toute son énergie et se défouler sur ce qui doit disparaître, pour permettre au nouveau de sortir. Le symbole est aussi fort que la réalité. En l’occurrence c’était le rez-de-chaussée d’une maison en centre ville que le propriétaire voudrait transformer en restaurant et que ce soit les murs, le plancher, le plafond ou la salle-de-bain, tout a fini dans trois tas de choses a recycler. Je garde juste l’espoir de pouvoir venir manger un jour à cet endroit car j’ai vu trop de lieux qui ont disparu après notre passage.

Amicalement,

Patrick Deblaise

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Commentaires
K
Ben oui...! "Mon effroi" est global, pas, pas seulement adressé au comportement nippon en la matière! Et en ce moment, concerne particulièrement ce qui se passe en notre bel et vieux , vieux,très vieux pays...!
N
Je sais bien.<br /> <br /> Pour moi ça en dit long sur cette société moderne en général, et pas seulement japonaise : on essuie les catastrophes et ensuite, on fait exactement comme avant, sans rien apprendre au passage... C'est valable pour les crises financières, économiques, etc... Au lieu d'identifier les sources de déséquilibre et s'en débarrasser, on continue exactement comme avant, en se disant que les malheurs subits ne devaient être que des "accidents", "on n'a pas eu de chance"... Quand aurons-nous le courage d'assumer nos erreur et de corriger le tir ?
N
Il faut bien être conscient que c'est quasiment inévitable : quelque soit l'organisation, il y a toujours une partie des dons qui va servir à des frais de fonctionnement et autres dépenses auxquelles on ne pense évidemment pas lorsqu'on signe un chèque pour une action caritative majeure. Le Japon ne fait pas exception, et ça arrive en France aussi en permanence. Cela n'empêche pas que dans la masse, l'argent a été utilisé à bon escient. Il faut rester positif...<br /> <br /> <br /> <br /> Pour le découragement des volontaires, Patrick a l'élégance de ne pas le souligner ici mais c'est aussi, tout bonnement, une lassitude bien humaine. Le trajet est long et fatigant jusque dans le Nord-est, et après quelques séjours, on n'est plus forcément motivé à l'idée de dormir sur un siège de bus ou à même le sol. On essaye d'aider de façon différente, en restant dans la capitale. Bref, le temps passe, tout simplement.<br /> <br /> <br /> <br /> Patrick a raison : le grand combat, à présent, c'est le devoir de mémoire. Le plus choquant, c'est de voir que la courte-vue continue à dominer : au lieu de reconstruire intelligemment, le Japon reconstruit sur la même base court-termiste et ne tire aucune leçon de la catastrophe !! Comme si un tsunami ne pouvait pas se repointer d'un jour à l'autre ! C'est tout de même affolant...
K
Témoignage que je trouve bouleversant et rageant pour ma part, bien que son auteur ait averti dignement et honnêtement de sa probable subjectivité.Mouais...<br /> <br /> <br /> <br /> L'amertume est là et on le comprend.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est vraiment "comment décourager les bonnes volontés ou encore de l'art de mal utiliser les forces et les compétences" !<br /> <br /> <br /> <br /> Quant aux curieuses utilisations de fonds débloqués ou récoltés grâce aux magnifiques élans de générosité et de solidarité...Ben y a visiblement pas que dans les républiques bananières que ça se passe alors, les accaparations ou détournements pour des réalisations d'apparat, des vanités...<br /> <br /> J'ai le coeur serré, tiens...
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