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Noemi Noemi
5 juillet 2013

La menace fantôme

Bien chers sujets, bonjour !

La chaleur qui nous avait jusque là épargnés est en train de gagner du terrain, et il semble qu’une fois de plus, votre royale servante soit destinée à se liquéfier dans la touffeur estivale japonaise avant longtemps. Naturellement, décorum oblige, je vais être obligée de m’évanouir pour faire bonne figure. Le public est déçu quand la princesse ne s’évanouit pas.

Mais tant qu’il me reste encore un peu de sang bleu dans les veines, je tenais à vous faire part de quelques réflexions spontanées nées de mon existence tumultueuse à Jappyland. Et c'est parti pour une Chronique Princière en bonne et due forme !

keep-calm-im-queen

Lorsqu’on débarque au Japon pour la première fois de sa vie, une fois séchées les larmes d’émotion en constatant que les minijupes, les kit-kat aux mille parfums et les prix des fruits au supermarché ne sont pas des mythes, on est en mesure de reprendre ses esprits et de regarder curieusement autour de soi. On devient critique. On se met à médire sur les crieurs de rue perchés sur des tabourets qui vous explosent les tympants en hurlant les promotions du jour. On s'insurge contre la lenteur, la froideur, la bêtise locales. On questionne les petits détails, les petites absurdités. Et c’est là qu’on se dit, comme ça, en passant : ça alors, ce pays est vraiment le royaume de la poche en plastique.

Il faut voir comme tout est emballé et suremballé. Les fruits, notamment, sont traités au supermarché comme de véritables pierres précieuses, l’aspect périssable en plus. Il faut dire qu’ils valent leur pesant d’or, mais là n’est pas le sujet. Le sujet, c’est l’emballage. Les écrins délicats qui enserrent les pommes, les poires, les pêches et les cerises. Les pochettes dont on enrobe le frais avant de le déposer dans un second sac en plastique. Les petites boîtes dans les grandes boîtes. Les sachets individuels. Les sachets fraîcheur. Les sachets de protection. Les sachets pour faire joli. Les longues douilles à parapluie à l’entrée des magasins pour éviter d’éclabousser à l’intérieur. Les imperméables de secours transparents qu’on achète à cent yen les jours de pluie. Le plastique, c’est la seconde peau du Japon.

Il faut dire que la société actuelle est tributaire d’une ancestrale tradition de l’emballage magique, sans bouton ni agrafe, tenu miraculeusement par le jeu des replis du papier ou du tissu. L’origami, l’art du papier plié, est toujours en activité au Japon, de même que l’usage des furoshiki, ces carrés de tissu qui font baluchons, sac à main ou récipient de casse-croûte selon le besoin. Et on ne parle même pas des kimono et yukata qui tiennent bien droit sur le corps des femmes grâce à l’intervention de l’emballage divin.

Sans surprise, avec la société de consommation, le papier de riz et les tissus peints ont cédé le pas à leurs homologues issus du pétrole, et les Tokyoïtes croulent sous les sacs plastiques qui s’entassent ostensiblement à la maison. On a beau emporter avec soi son propre sac de courses, on n’arrive jamais à y échapper totalement : première couche, deuxième couche, troisième couche de plastique. On tente de se rassurer sur l’impact écologique du phénomène en se disant qu’à première vue, le Japon trie ses ordures et recycle ce qu’il y a à recycler. Enfin, on espère, parce que nous avons en tout six poubelles différentes dans la cuisine et qu’il serait un peu vexant que cela soit seulement pour la forme.

Bref ; emballer la nourriture et les cadeaux, c’est une petite attention qui fait soigné, une façon de montrer qu’on a voulu que le produit parvienne à son destinataire en donnant le meilleur de lui-même. Sur-emballer, c’est un signe de respect.

Et puis, il faut bien dire que le Japon se situe au paroxysme de l’hygiénisme. Plus maniaque du détergent, y’a pas. Plus anxieux de la bactérie, tu meurs. On est au pays du masque, des gants, de l’uniforme règlementaire. Il ne faut pas que les choses se touchent, que la souillure contamine le peloton. Un certain nombre de Japonaises de ma connaissance bondissent d’horreur à l’idée de laver leurs chaussettes avec le reste du linge ; hérésie que voilà. Elles s’évanouiraient également derechef si elles subodoraient que je me lave les cheveux seulement tous les deux jours (en été); oui, les Nippones cautionnent totalement l’adage nabilien selon lequel « allô, t’es une fille t’as pas de shampoing ». On ne vous apprendra rien non plus sur les chaussons spécial toilettes et sur les WC automatiques ou il suffit d’approcher la main du capteur pour déclencher la chasse, nous évitant ainsi de tripatouiller quoi que ce soit aux alentours. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que la poche plastique règne en maîtresse ; on n’a pas trouvé mieux pour protéger la valeur japonaise numéro un : l’hermétisme.

Et pourtant, et pourtant.

En parallèle de la débauche de protection à tout va, il existe un domaine dans lequel les Japonais font montre d’un j’m’en-foutisme vraiment crasse : la gaudriole. Le contraste est tel que notre royale personne n’est pas loin de croire qu’ils se payent notre trognon bien comme il faut, avec leur maniaquerie quotidienne.

Je suis assez abasourdie de constater que dans le seul contexte où le recours à la protection étanche devient vital, voilà qu’il n’y a plus personne. Le préservatif, grand absent de la gamme démentielle de ses congénères les emballages transparents au Japon.

C’est étonnant combien une société qui prêche autant la netteté et le non-échange des fluides peut être à ce point sourde et aveugle à la nécessité pourtant largement comprise par le monde industrialisé de se protéger pendant l’acte sexuel. Attention, je ne dis pas que nous autres les Hapsbourg et consort sommes irréprochables en la matière ; malheureusement, le sida et autres joyeusetés progressent toujours dans nos contrées et je ne nous en félicite pas. Mais tout de même, j’ai l’heur de croire que malgré nos négligences et nos irresponsabilités chroniques, nous admettons tout de même que les MST sont une menace réelle. Et qu’on est censés s’en prémunir. Et que cela n’a pas ou plus grand-chose à voir avec les mœurs sexuelles. Qu’une seule et fatale fois suffit pour vous saborder. Que la protection et la contraception, ce n’est pas que l’affaire des autres. Mais au Japon, pour des raisons obscures, pas grand monde ne se sent concerné.

Et pourtant, le préservatif n’est pas un à proprement parler un OVNI (Objet Vital Nipponement Ignoré) dans l’archipel. Sans même se référer aux boutiques spécialisées en accessoires coquins, on en trouve presque toujours dans les combini, ces magasins ouverts 24h sur vingt-quatre et qui bourgeonnent à chaque coin de rue ; il y en a des gratuits dans les love-hotel et au comptoir de nombreuses boîtes de nuit. Non, si le préservatif n’a pas le vent en poupe, c’est qu’il est boudé par les Japonais, tout simplement, qui ont décidé d’ignorer superbement les risques liés non seulement à la propagation des MST, mais aussi aux grossesses non désirées. Car en plus, le non-recours au préservatif s’accompagne d’un mépris total pour la pilule contraceptive et autres anneaux ou implants. Histoire de joindre l’absurde à l’inconscience.

 Vous admettrez que c’est un peu curieux pour une société qui vous serine d’une voix pressante et enregistrée que « attention, vous posez le pied sur un escalator, ceci est un acte TRES DANGEREUX ».

Malgré l’omniprésence du sexe dans la vie japonaise – je ne parle bien évidemment pas de la vie de couple, malheureux! Que vous êtes naïf. Le couple marié est peut-être là où les Japonais font le moins de galipettes... -, mais de l’incroyable éventail des services sexuels tarifés, du plus innocent au plus pervers, qui font du Japon le top du top en matière d’offre dans le secteur – on ne peut pas dire que les Japonais assument énormément leur libido. Comme dans certaines sociétés bien moins modernes et libres, beaucoup de Nippons estiment que le préservatif et la pilule sont des accessoires réservés aux personnes multipliant les aventures dans des contextes jugés « à risque » : communauté gay, milieux étrangers, monde de la nuit et de la prostitution (et encore, pas sûr que les professionnels soient plus consciencieux que les autres). Demander à son partenaire d’utiliser un préservatif est donc foncièrement insultant : cela revient soit à avouer qu’on couche à droite et à gauche, soit que son partenaire a une tête à faire de même. C’est induire que son amant ou amante serait « sale ». Et donc, on n’en parle pas.

J’insiste, mais vous noterez que nos amis les Japinois se préoccupent donc davantage de la fraîcheur de leur dernier shampoing que de protéger leur vie et celle de leur partenaire. Question de priorité.

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Cheveu sale =  scandale ; MST = pas concernés

Naturellement, dans le lot, il existe tout de même quelques individus qui relèvent le niveau et qui se conduisent en adultes responsables. Mais après petit tour d’horizon des CV sexuels de mon entourage (ici je me confonds en excuses auprès des intéressés qui ignoraient que leurs confidences allaient faire l’objet d’une enquête statistique) : c’est loin d’être la majorité. Et quand, le sourcil scandalisé, nous mettons un point d’honneur à les fustiger pour leur manque de jugeote, les manants n’ont même pas l’élégance d’être soulagés ou reconnaissants qu’on ait brisé les tabous autour d’un sujet crucial. Non non, ça les gonfle.

L’argument avancé par ces bougres de têtes à claques est que les MST sont infiniment peu fréquentes au Japon, du moins en ce qui concerne les gens « normaux ».

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(Définir « normal ». Pas facile.)

Comme il est très difficile d’obtenir des statistiques sur un sujet dont personne ne parle, je me contenterai de faire remarquer que le nombre de petits temples shinto dédiés à la protection des visiteurs contre la syphilis et autres fantaisies charmantes semble témoigner du contraire. Je dis ça, je ne dis rien.

De plus, fermer les yeux sur la propagation des MST ne permet pas de faire l’impasse sur celui des grossesses impromptues et du cortège d’IVG qui en résulte. Si l’humble bien que princière auteur de cet article défend sans ambigüité le droit des femmes à disposer de leur corps, il lui semble tout de même assez violent qu’à l’ère bénie où nous vivons sur le plan de l’offre contraceptive, l’avortement soit le seul horizon des femmes sexuellement actives. A quoi bon, j’ai envie de dire.

Alors diantre, que diable peut-il bien se passer dans la tête d’un adepte du déchaussage systématique pour ne pas souiller de la saleté extérieure la propreté immaculée du dedans, dans la caboche d’un accro au gel antiseptique, dans le crâne d’un défendeur des systèmes automatiques permettant de ne jamais rentrer en contact direct avec RIEN, lorsqu’il fait fi de la raison la plus commune en décidant de coucher sans protection ? ... (que celui qui n’a pas pensé au petit singe à cymbales gigotant dans la tête d’Homer Simpson me jette la première pierre)

Permettez que je partage ici avec vous mes suppositions.

D’après moi, en tout premier lieu, on assiste ici à un magnifique cas de fatalisme aigu. 

De même que de manger du poisson fugu, qui secrète un poison mortel, induit le risque de trépasser fissa au cas où le Chef se serait loupé à la préparation du plat, hé bien pour les Japonais, le sexe est une activité qui comporte certains risques, comme celui de contracter une MST ou de se retrouver prématurément avec un enfant à élever. Si on n’en supporte pas le revers de la médaille, mieux vaut se consacrer à l’art floral ou au macramé. Une vision totalement à l’opposé de notre credo occidental qui veut que nous nous rendions maîtres de notre vie, même dans ses aspects les plus incontrôlables. Le clash des illusions, premier volet.

En second lieu, nous observons là un superbe trait du mindset japonais : la propension à ne pas du tout gérer les menaces fantômes. Les maladies, la radioactivité, les drames familiaux commis dans l’ombre des maisons fermées : tout ce qui ne se voit pas, qui agit insidieusement, sans éclater au grand jour, et qu’on recouvre amoureusement du voile sacré de la « vie privée ». Nous voilà bien avancés.

 

Un masque la journée, car on craint la poussière

Son cortège de saletés qui flottent dans l'air ;

On se prémunit contre les rougeurs de pif

Mais le soir on se passe de préservatif.

 

 

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Commentaires
A
Les ménagères ne sont plus ce qu'elles étaient mais clairement tu auras un salon qui "paraîtra" bien mais ne regarde jamais l'intérieur des frigidaires, l'état des gazinières et ne va jamais dans la pièce du fond ! ;)<br /> <br /> Mais je te joins volontiers sur les espaces publics qui sont impeccables sans compter les transports en commun où tu pourrais presque manger par terre.<br /> <br /> <br /> <br /> Moi aussi je fais une lessive tous les jours... ^_^
N
Ah dis-donc, je ne savais pas que les envahisseurs aimaient la javel, merci du tuyau (je n'en utilise jamais, mais j'aurais pu !!).<br /> <br /> <br /> <br /> Oui c'est vrai que les hommes célibataires, notamment, laissent se détériorer leur intérieur (phénomène global !! lol). Mais dans la plupart des foyer où madame est vouée aux tâches ménagères, et surtout dans l'espace public, partout où on risque de rencontrer autrui, c'est souvent clean jusqu'à la maniaquerie. Et puis la lessive faite touuuuus les jours, etc etc... Cela dit, je m'inscris à ton club des excitées de la serpillère ;-) On les bat à plates coutures !!
A
C'est parce qu'on est des femmes exceptionnelles qu'on peut se permettre la critique. ^_^<br /> <br /> En haut du podium pour le côté maniaque ? ... Mmmmh.... Moi ;)<br /> <br /> On a tout au Japon pour organiser et optimiser l'espace et on trouve de très bons produits pour nettoyer (beaucoup sans javel heureusement car les cafards adorent ça) du sol au plafond mais dans la pratique... Nombre sont ceux qui cumulent et ne jettent jamais rien et petit à petit dénigrent leur appartement... Si les japonais ne reçoivent que très rarement chez eux ce n'est vraiment pas qu'à cause du manque de place... mais il y a aussi des gens très propres comme partout.
N
Merci de ton commentaire qui vient hydrater mon moulin, chère Anne-Laure... C'est pas qu'on ait des leçons à donner non plus, mais on ne leur dit pas bravo ! <br /> <br /> <br /> <br /> Ha ha, ah oui ? Et alors qui mettrais-tu en haut du podium ? :D
A
Un médecin m'a dit que ce problème prenait de l'ampleur, il y a de plus en plus de femmes qui ont une gonorrhée, ne la soignent pas et deviennent stériles, de même que les crêtes de coq et les cancers de l'utérus sont là aussi plus fréquents.<br /> <br /> Le sida est quant à lui un sujet tabou donc... aucune possibilité de connaître l'étendu de ce fléau.<br /> <br /> Je ne comprends pas les Japonais sur ce point... Par contre je ne suis pas d'accord avec toi pour le "plus manique du détergent, y'a pas".
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