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Noemi Noemi
13 juillet 2013

Vers l'infini... et au-delà

Salutations, ô mes gens! J'ai l'honneur de vous annoncer que je romprai mon exil japinion dans une semaine, le temps d'un retour aux sources dans le Saint-Royaume (aka le Val-de-Marne, pour ceux qui suivent) pour une onctueuse dizaine de jours qui s'annoncent mémorables. Je compte notamment m'accorder une retraite sororale bien méritée avec Mlle ma soeur, la Dauphine, et je risque de disparaître du monde sans plus de cérémonie. Alors en avant pour une petite Chronique Princière estivale, car je me dois à mon peuple avant tout!

C'est avec encore des larmes de rire au coin des yeux que je me permets de vous recommander chaudement l'excellentissime blog de Mlle Sonyan, que vous trouverez ici. Ses articles pas piqués des hannetons sur notre cher "what-the-f*ck-land" qu'est l'archipel nippon sont à se rouler par terre tant ils tapent juste et sont bien écrits. La demoiselle parvient à nous tenir en haleine avec des galères diverses et variées que nous avons nous-mêmes vécues depuis que nous avons échoué sur les côtes japiresques, mais avec suffisamment de talent pour que même ceux qui soient restés dans la mère patrie s'y retrouvent, j'en suis sûre. Un grand merci à elle pour le bon temps que je prends régulièrement en la lisant, et puis c'est une question de protocole : j'ai découvert qu'un de ses onglets s'intitulait "A mes fidèles sujets", ce qui sous-entend qu'elle est également une princesse déchue incognito, et je me devais de la saluer selon son rang.

Du coup, paf, hommage.

SonyaninWTFlandHé oui, pas facile d'être au Japon un "starving giant", comme l'écrivait Lafcadio Hearn, mon héros entre tous et ma constante référence... et qui fait écho au mal-être de l'héroïne de Lewis Carroll, toujours disproportionnée par rapport à son environnement, justement choisie par Sonyan comme avatar. Ce syndrôme d'Alice, qui ne l'a pas ressenti en vivant au Japon? (d'ailleurs si vous fouillez bien dans mes posts de 2010, vous tomberez sur une série de photos sur le thème de Wonderland...) Se sentir comme un géant affamé, avec ses "émotions cosmiques", dixit le même Lafcadio, dans ce pays de "Liliputiens" ?... Naviguer entre délicatesse extrême et folie furieuse ?... Cent cinquante ans après Hearn, même combat. L'amour éperdu du Japon, ça se paye, mes amis.

Dans son dernier post, Sonyan conclut en disant que le karma est un sacré farceur, doté d'un certain sens du spectacle et d'un goût immodéré pour le suspense; et que par conséquent les solutions (même les plus empoisonnées) ont la fâcheuse tendance de pointer leur museau au tout dernier moment, quand il n'y a plus d'espoir. Il faut s'accrocher à son rêve avec les dents, contre toute raison, contre toute logique... car le dénouement survient de manière totalement irrationnel, mû par notre seul volonté et certainement pas par la logique des choses. Je ne peux qu'approuver car mon propre rêve japonais a été rendu possible par des évènements complètement dingo, aux antipodes du manuel du parfait petit expat qu'on nous ressert à toutes les sauces. De toute façon, je ne sais pas pour vous, mais dans mon cas, les voies "normales" et "recommandées" ne marchent jamais. Fiasco garanti. Plus je rame, plus l'eau rentre; le bateau se retourne, je bois la tasse, je manque même de me noyer avant d'obtenir l'ombre d'un résultat probant. Alors qu'au contraire, quand je prends des risques ou relâche la bride, les choses me tombent toutes rôties dans la bouche - allez comprendre. Pourtant, stupidement, comme je suis l'exacte inverse d'une aventurière (*controle freak, bonjour*), j'ai toujours tendance à revenir timidement dans les sentiers battus en espérant que ça fonctionne, mais non, tôt ou tard je suis OBLIGEE de faire n'importe quoi et c'est là que les miracles arrivent.

Mais attention, je ne parle pas d'un n'importe quoi de pacotille, hein : je parle du GRAND n'importe quoi, celui qui donne des cernes, de la sueur et des crampes, quand même. Le n'importe quoi qui fatigue, on est d'accord.

Prendre des avis... pour les ignorer superbement

Le Japon, je suis tombée dedans avec l'arrivée de l'internet dans ma vie. Je suppose que l'adolescente complexée, peu stimulée par une vie de banlieue monotone et surtout par la médiocrité absolue de l'environnement scolaire que j'étais avait besoin d'un idéal. Longtemps, les romans et les films m'avaient servi d'échappatoire. Les chimères élaborées pour puis avec ma soeur m'avaient permis de survivre. Mais j'avais seize ans, je titillais l'âge adulte et il me fallait un idéal "un peu plus concrêt", si je puis dire. J'entendis un jour la chanson de générique de fin d'un anime passant à la télévision et la beauté de la langue japonaise me pourfendit. Je me jetai sur notre nouvelle connexion internet pour en savoir plus et je découvris un univers fantastique, mais bien réel, qui cumulait tous les plus fabuleux trésors : bambous, kimonos de soie, lanternes en papier, paille de riz, sabres et codes d'honneur, peluches et rose bonbon, perfection des gestes, éloge de l'ombre, érables rouge rubis, summum de la modernité et indéracinables archaïsmes. Moi qui m'étais toujours sentie comme une étrangère, je ressentie finalement le plaisir d'en être une; j'avais tout un monde à découvrir et cela était grisant.

Le Japon devint mon nouveau cap. La seule vraie destination. Pourtant, je remis à plus tard le projet de m'y rendre, intimidée par le coût du séjour, et accaparée par mes études littéraires en classe prépa, dont les exigences (enfin) comblèrent pour un temps ma fringale intellectuelle et sensorielle. Il fallut un second échec au concours de Normale Sup' pour que je me décide à finalement prendre mes désirs en main et à faire mon chemin jusqu'au Japon. A cette époque, j'intégrai une grande école de communication, et commençai à prendre des cours du soir de japonais, bien consciente de l'importance de maîtriser le japonais pour avoir la moindre chance de m'y installer un tant soit peu durablement. Puis je visitai enfin le Kanto en touriste avec ma flèche de frangine et ce voyage ne fit que redoubler ma motivation. Beaucoup de gens autour de moi étaient persuadés que j'allais revenir du Japon déçue, ou du moins calmée, mais bien au contraire. Il n'y avait donc plus qu'à trouver le moyen de travailler au Japon sitôt mon diplôme (français) en poche, car malgré mon royal pédigré - et croyez bien que je le regrette infiniement - figurez-vous que moi aussi je dois travailler pour croûter.

J'avais lu et subodoré suffisamment de choses sur le marché du travail Japon pour savoir que ce serait loin d'être simple. N'étant pas sortie d'une université japonaise, je ne pouvais en aucun cas prétendre à une version "internationale" du recrutement classique des nouveaux diplômés, et de toute manière, ledit recrutement exigeait qu'on soit sur place et disponible pour les myriades d'entretiens exigés. J'étais hors du système, occupée à bouclée mon Master en France et pas assez riche pour vivre sans salaire le temps d'une hasardeuse recherche d'emploi. Quant au recrutement par cabinets spécialisés, que ce soit pour le compte d'entreprises locales ou étrangères, le problème était le même : n'étant pas versée dans les sacro-saintes sciences de l'informatique et de la finance, mon profil généraliste n'allait pas convaincre à moins d'une expérience longue comme le bras. En effet, les candidats recherchés devaient avoir une connaissance solide de l'industrie concernée, et je n'allais impressionner personne avec mes stages et mes jobs étudiants. Néanmoins, décidée à jouer toutes mes cartes chances, je fis de mon mieux pour essayer de me bâtir un réseau, jeu auquel je suis une nullité absolue car je n'ai pas le profil, ou l'attitude, qui attire les gens "in". Entendons-nous bien : je m'attire constamment des gens passionants, j'ai des amis et des connaissances absolument formidables, mais par extraordinaire ce ne sont jamais des requins de la finance ou des well-connected people. Moi, j'ai le feeling avec les gens cool, qui sont bien souvent aussi largués que moi sur le plan de la carrière, et qui accomplissent des choses miraculeuses par eux mêmes, à la force de leurs petits doigts : des aventuriers, des poètes, des idéalistes, des visionnaires... voilà les gens qui généralement, m'aiment bien. En revanche, je suis le plus souvent cordialement méprisée par les winners de la modern society : les gens qui bossent là où il y a du fric, et donc un minimum d'emploi. Pour résumer, j'ai cette faculté à développer un super réseau de gens beaux rayonnants, et totalement inutiles sur le plan du piston. Que ce soit bien clair : je n'échangerai mes inspirants amis contre rien au monde, et surtout pas contre un insupportable nuage d'expats ou de de fashionistas imbus d'eux-mêmes et rayant le parquet de leurs incisives. Mais à l'époque, j'étais jeune, et j'essayais encore de faire comme on dit dans les livres du parfait petit Rastignac.

Je tentai donc vainement de me faire un réseau en approchant par amis d'amis interposés des personnes bien placées dans les branches japonaises de certaines grandes entreprises françaises, histoire de voir si je pouvais placer un petit CV. Le profil type du mec-ayant-réussi-sa-carrière-au-Japon était le suivant : homme (bien sûr), d'une quarantaine d'année, issu d'une grande école ou d'un programme scientifique prestigieux, marié avec une japonaise et rentrant à Noël passer des vacances parisiennes avec sa petite famille. J'en rencontrai une bonne brochette et tous me tinrent à peu près ce langage :

Il était absolument inutile pour moi de partir au Japon en l'état actuel des choses, à moins d'accepter de vivre d'heures de cours de français éparses et de petits boulots, étranglée par un loyer forcément exorbitant même pour un clapier à lapins, et cela le temps d'un visa vacances-travail qui ne ferait pas long feu. Et même si j'étais prête à affronter la précarité pour réaliser mon rêve nippon, ils ne me le conseillaient pas, car le retour en France serait alors bien dur avec ce CV incohérent. Non, ce qu'il fallait faire, c'était comme eux : se faire embaucher par une grande entreprise française bien implantée au Japon, y mener ma carrière pendant une bonne dizaine d'années, monter en grade jusqu'à un poste de représentation et finalement me faire envoyer au Japon en tant qu'expat. En attendant, je pourrais toujours y aller pour les vacances et peaufiner mon japonais. Voilà la seule voie qui s'offrait à moi.

Je reçus ce discours maintes fois en me retenant de ne pas planter ma fourchette à dessert dans l'oeil de mon interlocuteur. Pourquoi tant de haine ? Hé bien d'abord, parce que c'est bien une réponse de mec, tiens. Désolée de sortir ma banderole, mais il y a quelque chose d'odieux dans le fait de s'imaginer que naturellement, à 35 ans, on sera en mesure de déplacer son couple voire sa progéniture à l'autre bout du monde et que tout le monde sera ravi et enthousiaste. Naturellement, je ne dis pas que c'est impossible pour une femme d'initier un tel mouvement familial, et un grand bravo aux championnes qui y parviennent, mais disons que ça tombe beaucoup moins sous le sens quand on porte la jupe. Mais cela encore ce n'est rien : le plus aberrant, c'est qu'il y ait encore des gens en ce monde qui s'imaginent qu'on entre comme ça dans une grande entreprise française et qu'on peut très bien y planifier une longue carrière... Ouvrent-ils le journal de temps en temps ? Les chiffres du chômage, ça leur dit quelque chose ? La mort du CDI, la course de fin de CDD, sont-ce des concepts dont on parle si peu que ça ne soit jamais parvenu à leurs oreilles ? On croit rêver, vous en conviendrez ! Et puis cette condescendance à ne parler que de leur propre vision des choses, sans essayer une seconde de se demander en quoi ils pourraient éventuellement vous être utiles. Croyez-le ou non, mais pas un seul de ces beaux messieurs ne m'a jamais proposé ne serait-ce que de prendre mon CV, au cas où. Et moi je n'ai pas insisté, comprenant que nous ne serions jamais faits du même bois et que ma vérité était ailleurs. Car moi, j'avais bien l'intention d'aller voir le monde précisément maintenant, alors que j'étais jeune, libre et sans autre responsabilité que de m'occuper de moi-même - et tant pis la cohérence de mon CV. De toute façon, si les beaux CV garantissaient un bon job de nos jours, ça se saurait.

J'ai donc décidé de n'en faire qu'à ma tête, pour changer.

Je m'inscrivis à tous les programmes possibles et imaginables qui ouvraient des portes sur le Japon ; toutes les bourses, toutes les fondations, toutes les associations. J'envisageai de partir en tant que monitrice de séjours linguistiques, qu'étudiante-chercheuse, que jeune fille au pair. Je montai des dossiers divers et variés, contactai le Rotary Club, candidatai à la bourse LVMH bref, me débattis dans la semoule comme un beau diable. La plupart des  programmes auxquels je postulais trouvèrent de meilleurs candidats, mais je connus tout de même certains succès, notamment en étant sélectionnée pour représenter la France lors du "Study Tour in Japan for European Youth" financé par le Ministère des Affaires Etrangères japonais : presque deux semaines à naviguer entre Tokyo, Kyoto et Hiroshima avec des concitoyens européens, tous avides de découvrir l'archipel, à visiter des entreprises, à participer à une cérémonie du thé, à tenter l'ikebana, à s'itinier aux percussions taiko, à se prélasser au onsen, à passer du temps dans une famille d'accueil, à voir, goûter et sentir toutes les merveilles locales - et cela, tous frais payés, si si.

(Par ailleurs, je dois ici préciser que cet idyllique séjour tombant pendant l'année scolaire, il m'avait fallu négocier mon absence avec la plus haute autorité de mon école, car ce genre de désertion en première année de Master était punie de châtiment suprême ; je dus donc défendre ardemment l'honneur qui m'était fait d'avoir été retenue pour ce programme, et on finit par m'accorder une permission exceptionnelle, de justesse, uniquement par la grâce du soutien ardent d'un de mes professeurs (qu'il me soit permis ici de le saluer bien bas) qui était devenu fan d'une nouvelle que j'avais écrite l'an précédent, dans le cadre d'un concours interne - comme quoi, n'y croyez jamais quand on vous dit que la littérature, de nos jours, ça ne mène nulle part : FAUX, comme dirait Norman!! Veuillez me croire, la littérature mène très loin, et même jusqu'au Japon ! Car ce Study Tour ne fut pas seulement l'occasion d'un séjour mirifique; il fut aussi l'insoupçonné tremplin vers mon installation à long terme...)

Têtue comme une mule, telle est ma devise

Presque un an après le Study Tour, je galèrai sévèrement avec mes châteaux au Japon. Je venais de finir un stage chez Sony France, où malheureusement les passerelles s'étaient révélées totalement inexistantes avec le siège nippon, tant la structure du groupe est verrouillée par région; et je me retrouvai donc au point mort. Une piste chez Bosch Japan venait de se refermer sur moi après plusieurs semaines de procédure stressante et j'avais le moral en berne. D'ici quelques mois s'achèverait ma dernière année de Master et il faudrait bien trouver de quoi se substanter, mes parents n'ayant pas une vocation de vache à lait ad vitam eternam. J'étais plutôt mal barrée.

C'est à ce moment critique qu'un e-mail me parvint d'un des participants au fameux Study Tour, nous informant que la Commission Européenne organisait une formation professionnelle de haut vol permettant aux entreprises nourrissants des projets pour le Japon de former un de leurs salariés afin d'un faire un spécialiste de ce marché ô combien particulier et difficile d'accès. Une bourse de 2000 euros par mois serait attribuée aux heureux élus pendant un an, dont neuf mois au Japon, à bosser dur le japonais des affaires et à s'initier à tous les aspects de la vie économique locale : systèmes de production, distribution, marketing, finance, etc. Le tout dans une prestigieuse université du doux nom de Waseda (cela fera sourire les fans de Sonyan, mais si, cette fac sert vraiment à quelque chose je vous assure), avec des Européens sympathiques (encore, décidément) et des intervenants de tous horizons qui nous raconteraient par le menu leurs galères au Japon. Sans compter que ce programme ne durait en soi qu'un an (ce qui n'est déjà pas mal) mais que le visa obtenu par son biais était un magnifique visa de travail de trois ans, soit le Graal pour bien des japophiles, car beaucoup d'entreprises exigent une permission de travail de leurs jeunes recrues, plutôt que de se fatiguer à les sponsoriser. Cela m'ouvrait des horizons considérables. Que demande le peuple.

Autant dire que ce programme était fait pour moi. Naturellement, comme tout pain béni a son revers de médaille, on était jeudi soir et la deadline pour envoyer son copieux dossier de candidature à la chambre de Commerce et d'Industrie de Paris faisant le lien avec Bruxelles était fixée au lundi midi. Au cas où vous demanderiez par quel étrange miracle une chasseuse de bon plans japonais comme moi pouvait ignorer l'existence d'un tel programme, je vous dirai : je suis bien d'accord avec vous, c'est proprement hallucinant. Le degré moins cinquante de la communication. Je ne vais pas casser du sucre sur le dos d'une institution à qui je dois tant mais tout de même, quand on fournit généreusement des opportunités pareilles, pourquoi ne pas le faire massivement savoir?... Je reste perplexe. En tout cas, je n'avais pas de temps à perdre (en plus, c'était vendredi et j'avais cours. Hé oui.) : je contactais immédiatement mon ancien maître de stage, un consultant expert en amélioration de la productivité grâce à diverses méthodes japonaises connues sous le nom de Kaizen, "l'amélioration continue". Je continuais à travailler ponctuellement pour lui selon les besoins de sa boîte, ce qui me permettait de m'octroyer le pompeux titre de "free-lance". Je lui expliquai la situation et il comprit immédiatement l'enjeu, m'assurant de son soutien plein et entier. C'est ainsi que je me retrouvai subitement en charge du développement des partenariats au Japon - il n'y avait plus qu'à rendre le tout cohérent et excitant pour le dossier. Mais broder, ça pas de problème : je sais faire.

(J'ouvre une autre parenthèse car je pense que c'est important pour le eye-of-the-tiger-spirit : ce premier stage dans un tout petit cabinet de consulting, on me l'avait déconseillé. Le marché du travail étant bien rude, les communiquants de tout poil ont plutôt intérêt, paraît-il, à se construire le plus tôt possible des CVs en béton armé, avec des noms d'employeurs qui flashent, soit chez la marque de prestige soit chez de grandes enseignes de la communication. Mais je n'avais rien trouvé parmi les boîtes japonaises ou japonaisantes un tant soit peu connues à ce stade, et le seul stage un peu en rapport avec le Japon, parce qu'on y parlait Kaizen, Toyota et Valeo, c'était chez ce consultant qui construisait vaillamment sa marque. Alors encore une fois, certes, directement, ce stage ne m'a pas apporté grand-chose... ce n'est pas la ligne la plus fulgurante sur mon CV. Mais indirectement, hé bien, je luis dois quasiment la vie. Comme quoi, l'entêtement, ça paye.)

Je vous passe les détails sur la façon folklorique dont j'ai passé mon week-end, à monter tout un projet de développement business au Japon pour une micro-boîte de services justement made-in-Japan, en consultant "le business plan pour les nuls" sur le web pour réaliser mes premières projections comptables - oui parce qu'en communication, on apprend à bien dépenser l'argent mais trop comment le gagner, voyez-vous. Et puis des essais de motivation, et puis des tests de japonais. Mes parents ne m'ont pas vue du week-end, et quand il entrouvraient la porte, ils tombaient sur une créature hâve et frénatique noyée sous sa première balance des paiements.

Malgré le côté MacGyver de l'opération, j'ai dû plutôt bien tirer mon épingle du jeu car j'ai été recontactée pour préciser certains points de mon business plan, puis mon dossier de candidature a été validée et j'ai été reçue en entretien à Bruxelles pour la deuxième étape. Dans le beau bâtiment rond serti de drapeaux que l'on voit à la télévision quand on se plaint de l'Europe, vous savez. Après des "tersts de personnalités" informatisés assez déconcertants - les résultats n'ayant jamais été communiqués, je suis bien incapable de vous dire si j'y ai brillé ou pas - je fus donc conviée à défendre mon bout de steak devant un jury de six personnes : deux fonctionnaires européens en charge du programme, deux membres de Science-Po Paris qui chapeautait le module européen avant la formation au Japon, et deux Japonais mandatés par Waseda. Il était clair, au vue des individus qui faisaient le pied de grue dans la salle d'attente, que je faisais partie des candidats les plus jeunes et les plus inexpérimentés, et ma seule chance de décrocher une place était de tout miser sur ma grande motivation. Aussi, bien que mon japonais d'alors était bien en dessous de ce qu'il faut maîtriser pour assurer un minimum lors d'un entretien,à la japonaise, je proposais d'emblée, à peine assise, de m'exprimer dans la langue. Je dois dire que je n'avais pas vraiment planifié d'y aller comme ça, au culot; l'entretien était censé se dérouler en anglais et d'ailleurs, les cours de langue intensifs étant précisément là pour nous mettre au niveau, les compétences en japonais n'étaient pas vraiment décisives. Mais en l'occurence, mon instinct de survie (de compète, il faut bien l'avouer) m'enjoignait d'agiter le chiffon rouge pour empêcher que la discussion prenne une voie peu en ma faveur, c'est à dire dans la direction de l'expérience professionnelle et de la cohérence du CV. Je pris donc mon courage à deux mains et m'engageai laborieusement dans la discussion. Les deux wasediens, en bons Japonais, subirent patiemment mon broken Japanese et me questionnèrent avec douceur; par conséquent, le reste de la tablée, pas très versés dans la langue de mishima, eurent l'impression que je parlais vraiment couramment la langue et je fus ramenée à l'anglais dix minutes plus tard par une phrase légèrement vexée, mais qui prouvait que j'avais fait mouche : "Si ça ne vous dérange pas, comme on n'est pas tous bilingues en japoanis ici, on va repasser à l'anglais...".

Bingo. Tout le monde en oublia mes jeunes années et mon projet farfelu; il ne fut plus question que de moi, de mon étude du japonais et de ma motivation. Quelques semaines plus tard, je reçus la jolie lettre m'annonçant que j'avais été prise. Ce programme me permit d'obtenir un visa, d'assurer ma susbsistance pendant un an tout en bossant à fond mon japonais, et d'être sur le terrain pour trouver un job une fois fini. C'est grâce à lui que j'ai pu réaliser mon rêve et mener une vie proche de ce que j'avais imaginé depuis les profondeurs de ma banlieue natale. Alors oui, il faut s'accrocher férocement à ses ambitions, et se débattre jusqu'à la dernière seconde et là encore, trouver le moyen de se débattre encore, car les horizons s'éclaircissent de manière inattendue. Il n'est jamais vain de se donner du mal.

Et quand il est question du Japon, de toute façon on n'a pas bien le choix...

Bon courage et grandes tapes dans le dos à tous les mordus de Jappyland, qui ne reculeront devant rien pour faire leur trou, ni les kanji en pagaille, ni le japocentrisme aïgu, ni le foutage de gueule ordinaire, ni les douches froides sous couvert de courbettes; soyez vaillants, ne décrochez pas, et surtout n'en faites jamais qu'à votre tête. Conseil d'amie.

 

 

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