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Noemi Noemi
9 octobre 2013

Sont-ils gentils, ces Japinois

 

Les aimables visiteurs qui me font l'honneur de se déplacer dans ma lointaine contrée japiresque font systématiquement la même remarque, les yeux écarquillés et le sourir béat : "Les gens sont teeeeellement gentils au Japon, c'est fou !". Et c'est un peu un crève-coeur pour moi que de nuancer fortement - très fortement - leur première et si positive impression. Hé oui, moi aussi, j'étais comme vous au début : sidérée, enchantée, émerveillée par l'exquise courtoisie nippone; éperdue de reconnaissance d'avoir été enfin transportée au pays des gens civilisés. Mais ça, c'était avant.

Oh, rassurez-vous : les Japonais sont en effet adorables au premier abord - surtout quand on a pour unique standard de vie en commun les us et coutumes de la région parisienne. Mais avec le temps, on comprend que chaque peuple - et dans chaque peuple, chaque catégorie possible et imaginable et dans chaque catégorie, chaque individu, mais tant qu'à faire des généralités allons-y gaiement - a sa propre façon d'être charmant, et sa propre façon d'être odieux.

Quand on est Français, et qu'on a toujours baigné dans un milieu où les gens n'ont que très peu de considération pour l'espace public d'une part et pour les "inconnus" qui y transitent d'autre part, le charme des Japonais vous saute immédiatement au visage et vous assome littéralement. Déjà, les bonnes manières y sont beaucoup plus respectées qu'en France. Certes, il y aura toujours un goujat de service pour jeter son papier gras dans la rue ou un malotru vous resquiller dans la file d'attente, mais de façon générale, les gens sont propres, patients, respectent les règles et font de leur mieux pour éviter tout type d'affrontement. Dieu que cela fait du bien lorsqu'on a passé toute sa vie à lutter pour entrer dans le RER qu'on attend depuis 30 minutes sur le quai, et qu'un grand baraqué qui vient juste d'arriver vous bouscule et vous siffle votre place. Dieu qu'il est bon de pas être constamment agressé par les graffiti, le mobilier urbain saccagé à dessein, les reliefs de repas abandonnés au sol à deux pas des poubelles et toutes les incivilités qui sont monnaie courante à Paris. La foule, à Tokyo, est calme et aussi ordonnée que possible. Le manant japonais de base ne siffle pas les femmes dans la rue, ne les insulte pas, ne fait pas de bruits obscènes sur leur passage. Bref, rien que le fait de pouvoir marcher tranquillement dans la rue, à toute heure du jour et de la nuit, est un véritable délice qui vous fait vous sentir au sommet de ce que le monde a produit en termes de civilisation.

La culture du service en rajoute une louche : à de rares exceptions près, les Japonais se plient en quatre pour apporter à leurs clients le must de ce qui est proposé par leur entreprise, et l'accueil compte énormément là-dedans. Pas de caissier qui fait la gueule, pas de vendeuse hargneuse, pas de conseiller de vente arrogant. Quand un Japonais revêt un uniforme, il ne rigole pas avec ses responsabilités. Son ego s'évapore, et même confronté à un client ignoble, il ne perdra jamais son sang-froid, préférant s'abaisser jusqu'à terre jusqu'à ce que l'orage passe. En dehors de ses heures de travail, bien entendu, il peut lui-même jouer le rôle du client exigeant. Mais en service, il fera tout son possible pour rester au top de la politesse due à la clientèle. Aussi, quand on débarque à Tokyo et qu'on se fait ainsi chouchouter dans la moindre boutique, là où à Paris c'est limite si on dérange, on a naturellement tendance à fondre devant tant d'amabilité et de considération de la part d'autrui.

Et puis il y a le fameux kodawari. Ce soin, cette attention particulière portée à la moindre tâche qui anime la plupart des Japonais. La perfection du geste, les règles de l'art... des valeurs un peu désuettes chez nous, mais qui sont extrêmement prisées par ici. Autant en France on considère qu'il faut être passionné par son travail, y mettre du feu, de la véhémence spirituelle et intellectuelle; autant au Japon, c'est surtout dans l'aspect manuel des choses que se canalise l'âme du travailleur. La confection, l'emballage, la présentation, les petites attentions... des choses un peu négligées dans la culture française, auxquelles nous avons du mal à accorder tant de valeur. Et de nous retrouver ivres de reconnaissance devant le soin infini que porteront les Japonais aux plus infimes détails de nos expériences. Que ces gens doivent aimer leur prochain pour faire montre d'autant de précision, de délicatesse, d'exigence envers eux-mêmes ! Jamais ils ne bâclent, jamais ils ne gâchent, exprimant à travers le respect des choses l'estime profonde qu'ils portent à autrui, c'est à dire à vous-même ! Que les Japonais sont donc gentils !...

Je vais vous dire : vous prenez tout cela de façon beaucoup trop personnelle. Vous n'y êtes pour rien, ce sont vos gènes d'individualiste-universaliste qui parlent - je le sais, j'ai les mêmes. Mais ce que vous prenez pour de la gentillesse est surtout un suave mélange de savoir-vivre, d'esprit commercial et d'amour du travail bien fait. Et il est certain que cette combinaison gagnante vous rend la vie quotidienne assez douce au Japon. Mais cela n'engage en rien un comportement "gentil" de la part des individus lorsque vous les fréquentez de façon plus appronfondie - au travail comme en privé. Les Japonais vous taclent tout autant que les Français et savent tout aussi bien cruellement manquer de tact. Ils sont tout aussi égoïstes, manipulateurs ou indifférents. Mais à leur façon. Une façon que ne peut pas appréhender le touriste derrière ses lunettes roses.

Je crois qu'en France, nous avons l'habitude d'être extrêmement discourtois et méfiants envers les gens qui nous sont de parfaits étrangers. C'est l'esprit "après moi le déluge". Nous avons le sentiment profond de ne rien devoir à ceux que nous ne connaissons pas, et leur courroux nous est parfaitement égal. Aussi nous sommes odieux dans la rue, et tendres à la maison. Mais au Japon, il s'agit d'avoir de la discipline en public. A l'extérieur, il faut être poli, prudent et impassible. Ne pas embarasser le monde avec l'étalage de ses émotions, de ses sentiments, de ses désirs particuliers. Rester à sa place. Céder le pas à autrui. En revanche, avec les gens de son propre groupe, on peut relâcher la pression et se laisser aller à ses bas instincts. On peut traiter son conjoint d'abruti, railler une collègue sur son poids, se foutre ouvertement des memebres de sa propre famille. On se défoule dans l'intimité. Ou bien on relègue son petit monde au dernier plan après son travail, ses beuveries sociales, ses parties de golf et ses sessions de jeux vidéo. On se permet d'être odieux, enfin.

Les Japonais savent être durs, injustes, violents. Mais c'est vrai qu'ils le cachent bien. Cela se passe dans l'ombre reculée des maisons, derrières les panneaux de verre bien cirés des entreprises, dans le non-dit et les messes-basses. Cela n'éclate pas dans le métro ou dans les magasins.

Et voilà pourquoi j'ai toujours des difficultés à déciller mes amis de passage enthousiastes : cette apreté de la vie nippone, ils n'y seront jamais confrontés. Ils ne verront que l'aspect immaculé de ce pays qui sait si bien garder les apparences. Et moi-même, derrière le voile irisé de ma bulle que j'ai conçue dans le but précis de ne profiter que du meilleur du Japon sans en subir le pire, je ne suis pas la mieux placée pour vous décrire la possibilité véritable du calvaire. Mais il existe. Il est vécu. Il en a dégoûté plus d'un de cet archipel impitoyable.

A noter que les Japonais installés à Paris en prennent aussi pour leur grade. Pas les visiteurs de courte durée, qui retiendront surtout l'éclat du Dôme des Invalides et des vitrines des pâtisseries, mais ceux qui restent suffisamment longtemps pour s'asphyxier à la puanteur des comportements publics français. La dépression qui les gagne a même un nom, le fameux "Paris syndrome" qui se soigne à Sainte-Anne, et qui fait l'objet de blagues récurrentes parmi la communauté française au Japon. C'est que nous sommes odieux d'une manière qui leur échappe, et qui vient les frapper là où ils ne s'y attendent pas, là où ils n'ont pas de défense, là où ça fait mal. C'est de bonne guerre.

Pour l'anecdote : je vais faire un tour à Taïwan cette semaine. Et la quasi totalité des Japonais à qui j'ai annoncé la nouvelle s'est exclamée : "Il paraît que les Taïwanais sont très gentils ! Comme les Japonais, en fait ! " ... Et je ne compte plus les fois où mes collègues maliens se sont eux-mêmes définis comme "très gentils", c'est à dire très affectueux, demandant des nouvelles de la famille, s'appelant "tonton", "grande soeur" ou "ma fille" - pas comme ces Français telleemnt froids qui sont limite choqués lorsqu'on s'enquiert de la santé de leurs proches, et qui vous rembarrent d'un très méchant "mais c'est personnel, enfin !!". Les peuples seraient-ils tous foncièrement convaincus qu'ils sont les plus gentils du monde ?

Ah, non, attendez. Lucidité ou vérité si éclatante qu'elle est impossible à cacher ? Les Français, eux, n'ont aucun doute sur le fait qu'ils sont parfaitement odieux.

 

 

 

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Commentaires
G
bon hé bien.. Quand on fait un voyage au japon, il faut donc se méfier de ses habitants et de les ignorer ou presque, alors, s'ils sont bien spécialisés dans la fausse gentillesse et la politesse superficielle
N
Ha ha Mummy, ouais... connais-toi toi-même, qu'ils disaient<br /> <br /> <br /> <br /> Estelle : adorables. Mais attention !! Méfions-nous !! :D
E
Mais c'est vrai qu'ils étaient gentils les gens a Taipei, quand même, hein ? :)
K
Finalement, on a de l'avance sur les autres: on est odieux, on le sait, et en plus,on ne s'en cache pas, nous!<br /> <br /> Enfin de quoi pavoiser, merci de nous remonter le moral :-))
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