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Noemi Noemi
24 février 2012

Voyages au bout de la nuit

Alors que la date anniversaire du 11 mars approche, je re-poste ici un article écrit l'année dernière pour le site de l'AFJ.

 

Voyage au bout de la nuit (10, 11 et 12 juin 2011)

 - Les week-ends de volontariat de l’AFJ à Ishinomaki -

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D’ordinaire, nous autres les Français du Japon passons éventuellement nos week-ends à nous creuser les méninges, mais rarement à faire quelque chose de nos dix doigts.

Nous avons en effet l’habitude de consacrer une part appréciable de notre temps libre à des activités aussi sophistiquées que le perfectionnement linguistique, la communication interculturelle ou le « networking » distingué. Nous nous initions aux rites shintoïstes, nous nous exerçons à la calligraphie, ou bien nous tentons de comprendre les subtiles notions de bushido et de wabi-sabi. Nous ne pouvons pas dire que la boue, la sueur et les ampoules aux mains soient exactement notre pain quotidien ; sauf depuis qu’un séisme et qu’un tsunami ont ravagé la côte Est du Tohoku, à deux cent et quelques kilomètres de Tokyo, et que l’AFJ s’est mis en tête de varier un peu la routine dominicale des Frenchies en nous envoyant à Ishinomaki, dans la préfecture de Miyagi, pour pelleter des tonnes de boue sur le passage du plus grand raz-de-marée dont on se souvienne dans l’archipel. Nous avons donc reporté nos projets de pique-niques et de dégustation de saké pour enfiler des bottes en caoutchouc et des combinaisons étanches : Tohoku, nous voilà !

Mettre de la boue dans des sacs : voilà vraiment le « must-do » de l’année 2011. Ishinomaki fait partie des 400 kilomètres de côte qui ont été réduits en miettes par le tsunami du 11 mars ; la partie détruite de la ville est à présent un champ de ruines présentant des vestiges de maisons défoncées par le flot de débris, de véhicules, et de bateaux que la vague a propulsés sur les quartiers résidentiels, dont certains sont en train d’être rasés jusqu’au sol et déblayés à la pelleteuse. Des hectares entiers sont investis par les débris collectés, les voitures bonnes pour la casse et les équipements de reconstruction. Trois mois après la catastrophe, il va de soi que les plus grandes urgences ont été traitées, les habitant déplacés chez des proches ou dans des refuges, et les dangers les plus immédiats pris en charge par l’armée et les autorités. Mais il reste des kilomètres carrés de caniveaux bouchés, de maisons récupérables mais embourbées, et d’espaces trop exigus pour les pelleteuses que seuls peuvent atteindre des êtres humains plein de bonne volonté. Nous avons donc mis nos bras d’étudiants, de traducteurs, de profs, d’ingénieurs, de marketeurs, de pâtissiers, d’ostéopathes, de cuistots et autres, au service de cette grande cause : virer la boue d’Ishinomaki. Pelletée par pelletée. Dans la joie et la bonne humeur bien de chez nous.

Les week-ends d’Ishinomaki de l’AFJ reposent sur trois grands principes fondamentaux :

  • la fatigue (car nous partons le vendredi soir à 23h, faisons le trajet en bus de nuit et attaquons le volontariat le samedi matin à 8h30)
  • la saleté (car nous pataugeons dans les immondices toute la journée et devons à chaque sortie traverser la cour avant de l’école tenant lieu de Centre de Coordination des volontaires, laquelle ressemble fort à un marécage)
  • la promiscuité (car nous dormons tous ensemble, sac de couchage contre sac de couchage, dans une salle de classe reconvertie).

Et bien croyez-le ou non, tout le monde vit cela très bien et une bonne partie du groupe a été entièrement fidélisée, et se réengage à chaque expédition. Ambiance camping !

Voici comment cela se passe : c’est donc devant la grande arche de pierre de Yasukuni, près de la station Kudanshita, en plein Tokyo, que les véhicules de l’AFJ attendent le vendredi soir la fine équipe en partance pour le Tohoku. Nous ne venons jamais les mains vides : électroménager, fruit et légumes frais ; tout est bon à apporter à des populations en stand-by dans les abris et logements temporaires d’Ishinomaki. Au bout de huit heures de somnolence plus ou moins salutaires selon le confort des bus et voitures dégottés par l’AFJ avec le budget disponible, nous arrivons dans la zone sinistrée, impressionnante de calme et d’organisation en comparaison des dommages subis. Nous rejoignons le QG des volontaires, notre chère école qui nous héberge également la nuit du samedi, pour déposer nos affaires et enfiler nos tenues de combat, résistantes, étanches et surtout seyantes – ou pas... Ensuite, nous attendons les ordres du Centre, qui nous dirige finalement vers tel ou tel chantier : une rue, une maison particulière, un temple ou un cimetière – de toute façon, quel que soit l’endroit, il s’agit toujours de boue !

A partir de là, la tâche est simple, et plus ou moins physique selon l’humidité et la température. L’opération se meut en Concerto pour Pelles, Brouettes et Pieds-de-biche. Et cela dure toute la journée, entrecoupée de pauses essentielles à notre santé mentale. Souvent, d’autres groupes se mêlent au nôtre et nous travaillons pelle contre pelle avec des Japonais des régions voisines, déplacés pour la journée, ou des étrangers comme nous venus donner un coup de main. L’ambiance est positive et industrieuse, jamais larmoyante et surtout pas tragique. Les drames appartiennent aux victimes ; mais nous les volontaires sommes là pour régler son compte à la boue, rien de plus, rien de moins.

Comme nous sommes d’irréductibles Gaulois, le samedi soir ne se passe jamais sans un banquet au cours duquel s’échangent les denrées les plus diverses, du bon fromage de France négocié à la douane aux chips du combini. Luxe suprême : à deux reprises, nous avons été autorisés à nous laver au sento qui a été installé dans la cour pour les réfugiés logés à l’école, et nous avons pu nous faire à peu près propres avant de dormir. Ensuite, exténués, nous nous endormons comme des bûches dans notre dortoir improvisé.

Le lendemain, rebelote. Bain de boue pour tout le monde ! Mais voir un gros tas de gadoue fondre comme neige au soleil provoque un sentiment de satisfaction rare, et c’est l’esprit en paix (et les muscles douloureux) que nous mettons les voiles dans l’après-midi, pour un retour sur Tokyo le dimanche vers 22h.

J’encourage tous les Français du Kanto qui ont un peu de temps le week-end et qui aimeraient faire un petit quelque chose pour le Tohoku à se porter volontaires auprès de l’AFJ, et à nous accompagner à Ishinomaki lors du prochain voyage. Même si nos actions ne représentent qu’une goutte d’eau dans la mer par rapport à l’immensité de la tâche, c’est toujours ça de fait pour accélérer le processus de reconstruction. La participation ne requiert qu’un peu de discipline (il faut en tous points obéir au Centre de Coordination avec lequel l’AFJ coopère) et un peu d’énergie, ainsi que 7000 yen pour participer aux frais d’essence et une carte d’assurance spéciale volontaire à 1400 yen qui dure une année entière. Alors venez nombreux ! Il reste beaucoup, beaucoup à faire !

Amateurs de catch dans la boue, de colonies de vacances, de travail à la ferme, de repas sur le pouce, de bière du samedi soir, de déménagement amateur, de blagues sur les Belges, de blagues sur les Blondes, de bricolage en tout genre, de causeries au coin du feu et surtout, amoureux du Japon et des Japonais : nous vous attendons devant Yasukuni le vendredi 24 juin à 22h… Contactez l’AFJ !

Noémie, 26 ans

Participante aux expéditions « Les Amis du Tohoku » de l’AFJ

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